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Rapport Badinter : maxi médiatisé pour mini effets

Le code du travail est-il vraiment obèse ? Cette réflexion, rapportée par tout un chacun, montre que beaucoup se sont sentis submergés face à l’exposition médiatique des milliers de pages d’un code du travail Dalloz ou LexisNexis. Médias et dirigeants sont confortés dans cette opinion par une corporation des avocats soucieuse de montrer la complexité de leur analyse… Dans ce sens, on pouvait lire dans Les Echos (http://bit.ly/1WK8mYL) que le code du travail « est devenu obscur et inquiétant » pour les employeurs mais aussi pour les salariés « perdus face à cette forêt de textes » ; alors que Olivier Besancenot sur I>Télélundi 25 janvier, soulignait que ce qui sert aujourd’hui dans le code du travail, c’est « seulement une dizaine de lois ». La réalité est sur le nombre d’articles un peu plus conséquente (et encore ?), mais la vérité est plus proche de sa déclaration que de la précédente.

Souvent appelé le « pavé », notre code du travail est composé de huit parties, et celle qui préoccupe tant nos ‘élites économico-médiatiques’, sur le temps de travail et les salaires, est consignée avec les commentaires et la jurisprudence dans moins de 180 pages sur 3195 pages (en comptant pour la partie législative et la partie réglementaire l’ensemble des Livres Premier « Durée du travail, repos et congés »).

« Si vous voulez vous débarrasser de votre chien faites croire qu’il a la rage » traduit à Science po par ‘si vous voulez éviter de statuer, constituez une commission sur l’inadaptation du législatif à l’évolution des mœurs ou de l’économie’. En stigmatisant le poids d’un code, dont la majorité traite de problèmes liés à l’organisation des rapports humains et syndicaux ou bien à des particularités de population-métiers-région, quel est donc le but de nos édiles ?  Prolonger l’esprit de 1848 et immerger la réflexion du politique-législateur dans l’organisation du travail ? Créer un point de départ d’une fracture propre à revitaliser la lutte des classes? Si de l’Himalaya on ne doit araser qu’une colline d’approche, quelle est l’utilité même symbolique de la réécriture du code du travail, déjà exécutée en 2007 ?

A l’occasion de la 46e édition du World Economic Forum de Davos, l’ensemble des membres se sont accordés pour affirmer que « nous sommes en transition vers une nouvelle révolution industrielle » ; la 4e, selon le fondateur du forum. Celle-ci se caractérise par un usage couplé des nouvelles technologies de l’information et de la communication avec d’autres telles que l’intelligence artificielle, la robotique et l’Internet des objets. Cela provoque des changements brutaux, notamment pour l’organisation du travail. Nombre d’entreprises françaises sont encore à s’adapter au changement numérique et aux contraintes du marché de l’instantanéité (voir la G7 contre Uber), et se prétendent asphyxiées par ce code du travail qu’ils jugent trop ancien pour correspondre aux nouvelles donnes du marché. Quelle est alors la capacité du politique d’analyser l’évolution d’un système économique, dont il n’a jamais appréhendé les bases de départ, pour recréer un droit du travail adapté se posait la question Thierry Breton (qui fut au milieu de sa carrière de chef d’entreprise, ministre des finances).

Le rapport Badinter souhaite répondre à l’accusation d’obsolescence et de surpoids des lois et règlements en vigueur. Maître Badinter informe dès le préambule de ses volontés de concision dans l’énoncé des principes piliers –en réponse au poids du code du travail actuel. Concision que l’on retrouve dans la directive Européenne sur l’organisation du travail 2003/88/CE. Le rapport souligne la nécessité de mettre le droit, matière normalement animée par la jurisprudence, en accord avec les rapides transformations que subit le monde économique et leurs résultantes sur le travail.

Or, depuis quelques mois maintenant, la thématique clivante, c’est le temps de travail. Les médias rythment régulièrement leurs tribunes de déclarations ou de contritions provenant de personnalités politiques diverses. Robert Badinter lui-même a publié l’été dernier –avec la collaboration de Antoine Lyon-Caen- Le Travail et la loi, un opus préconisant la refonte complète du code du travail et notamment l’effacement des 35 heures. Et où la consonance est de mise, au sein même du gouvernement, la cacophonie des expressions rend inaudible un quelconque message : si François Hollande et Myriam El Khomri s’accordent sur le fait que les 35 heures resteront la durée légale du travail, Manuel Valls biaise le message en admettant d’une part que le symbole ‘35 heures’ a pris le pas sur la réalité des 35 heures travaillées, et d’autre part que l’article 33 du rapport Badinter est un choc salutaire permettant de dédramatiser le dépassement des 35 heures (avec une compensation). C’est peut-être en voulant détruire le symbole aux yeux des investisseurs de la planète qu’Emmanuel Macron, a effectué un demi-tour pendant le World Economic Forum, en annonçant que la loi sur les 35 heures serait de facto vidée de son contenu dans la prochaine réforme sur le code du travail, avec la refonte de la majoration des heures supplémentaires (refonte entamée par les honnies et annulées lois Tepa). Combien faudrait-il ajouter de pages au code pour exprimer une ordonnance gouvernementale issue de la concaténation des promesses de chacun de ses membres ?

Les messages diffus de nos représentants politiques sont moins synthétiques que le contenu de ce rapport Badinter, qui sera le préambule du nouveau code du travail.

Les lecteurs du rapport qui voulaient découvrir des mesures « choc » porteuses de symbole, seront déçus. Ceux qui voudront trouver un cap et des jalons, seront fort marris. Non, il s’agit d’une plate-forme à minima, moins prolixe que nos politiques mais moins détaillée que la directive européenne sur « certains aspects de l’aménagement du temps de travail ». Elle détruit déjà le symbole du poids du code du travail. Elle laisse au politique le soin de construire à partir d’un canevas, comme si le contenant dictait le contenu. Or l’expérience l’a prouvé, si l’entreprise est longue à s’adapter au changement économique et social, politique et magistrature l’observent sans jamais une fois dans la carrière l’assimiler. Les plus experts attendaient au-dessus de la plateforme dessinée, quelques briques dont il est facile de voir qu’elles manquent actuellement.
La première d’entre elle concerne les domaines précis de négociation à l’intérieur de l’entreprise portant primauté des accords. L’article 57 rejette à la loi d’instaurer une primauté des conventions signées dans l’entreprise… Mais dans des domaines plus ou moins étendus qu’aujourd’hui ?
La deuxième concerne le seuil de représentativité syndicale sur l’ensemble des corps inscrits et votants, qui peut remettre en question un accord d’établissement ou d’entreprise accepté par suffrage interne. Les exemples des ZTI , GoodYear et autres Smart montrent combien il est difficile de bouger.
La troisième concerne :

  1. a) la définition de la semaine calendaire comme compteur des seuils alors que l’Europe emploie le multiple de semaines glissantes. La révision des périodes de modulation (voir Myriam El Khomri France Inter du 26/01) répond trop partiellement à cette problématique.
    b) le temps de présence dans l’entreprise à sa « disposition », dans une société ou le temps de travail est de plus en plus entrecoupé de temps personnels pris grâce aux outils numériques ou en raison des lois aujourd’hui sur le tabac.

La quatrième est que, dans un pays où les 6 millions de sans-emploi représentent plus que les 5.6 millions de fonctionnaires ou assimilés, il n’existe aucune représentation démocratique participant à l’évolution du code du travail dont beaucoup d’aspect les concernent dans leur retour à l’employabilité, salariée ou non.
La cinquième concerne l’employabilité mixte, trop souvent cantonnée à des cumuls de temps partiels alors que les générations montantes ne font plus confiance au salariat unique en entreprise pour assurer des lendemains qui chantent. Or dans cette évolution notable du code du travail, nécessairement liée à la taxation et aux couvertures sociales des emplois mixtes (salarié, non-salarié), rien n’est évoqué.

Le code du travail se doit donc non seulement de s’ouvrir à une vie économique en révolution, mais aussi à des pratiques sociétales dans lesquelles l’employé mixte remplace le salarié (dans l’ensemble des rapports au droit social) et où la représentation majoritaire s’équilibre avec la représentation syndicale.
Toute personne en âge et responsabilité de travailler doit pouvoir s’appuyer sur un droit du travail à l’évolution duquel il participe, qui lui permette aussi bien d’entreprendre que d’accéder à une juste rémunération après prélèvements et compensations de son travail.

Mais tout n’est pas gris dans la plate-forme Badinter, certains y ont découvert des axes déjà défichés : l’obligation de formation (article 10) vs l’article L6321-1 du code du travail : «L’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations » ;mais également d’autres extensions notamment la généralisation de l’article L1124-1 du code du travail (article maintes fois soumis à des interprétations de la cour de cassation) concernant le transfert du personnel (article 19)…

En définitif, malgré ces quelques principes énoncés, ceux qui s’attendait à de véritables bouleversements réglementaires, notamment sur la durée légale du travail, devront différer leurs vœux à la lecture de la loi prochainement écrite, avec la potentielle issue qu’aucun changement ne sera effectué, mais de l’émulsion levée.

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Laurine Deschamps

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